Un professeur particulier. (Earnest et Reese)

Après être allée faire quelques emplettes, j'ai décidé de me poser sur un banc dans le parc pour trouver l'inspiration pour mes romans. J'aime beaucoup observer ce qui m'entoure, essayer de deviner la vie des gens, qui ils sont, leur quotidien et ce qu'ils pensent. Je leur invente une histoire de toute pièce sans jamais avoir confirmation de mes déductions.

Mes yeux se posent soudain sur un jeune homme accompagné d'un enfant. Qu'essaient-ils de faire ? Bien qu'habillé modestement, l'homme a un maintien bien droit qui n'est pas sans rappeler le port militaire.
Il n'a pas l'air guindé de quelque homme de la noblesse mais quelque chose de raffiné se dégage de lui.

Avec patience, il apprend au garçon à répéter des gestes. Quel est cet enseignement ? Je prends des notes, je trace également des esquisses. Cela m'intrigue.
Je m'imagine père et fils en train de partager peut-être un jeu... Je me corrige rapidement. Il devient vite évident qu'il s'agit de combat.

Je soupire. encore une chose que je ne pourrais jamais apprendre
car je ne suis pas un homme... Et pourtant... Ce serait plus qu'utile de savoir au moins de défendre en cas de problème. En particulier face à un homme... En attendant... On évite de s'exposer au danger, restant des petites choses fragiles...

J'imagine que confronté à la mort pendant la guerre, il est tout à fait légitime de vouloir faire en sorte que son enfant puisse survivre dans ce monde difficile.
Et je souhaite mentalement plein de courage à cet enfant qui s'apprête à l'affronter de ses propres poings.

Pendant un peu plus d'une heure, je les observe à la dérobée. L'homme corrige la posture de l'enfant et je note ce que je comprends. Pieds écartés pour plus d'équilibre. La démonstration parlait d'elle-même ! D'une petite pousse du bout des doigts, il a déséquilibré l'enfant qui s'est retrouvé par terre ! Ensuite, il le désarme et lui explique comment tenir son épée de bois. D'où je suis, je ne vois pas très bien ce qu'il corrige hormis l'orientation de la lame factice. Mais cela a l'air efficace.
Puis l'enfant passe à l'attaque. Le professeur esquive tout ses coups comme s'il se trouvait seulement face à une mouche. De l'ennuie transperce dans son attitude et pourtant il s'implique dans cette leçon. Il veut vraiment faire progresser le garçon.

Je souris tristement. Et me rendant compte que je les fixe peut-être depuis trop longtemps, je regarde autour de moi pour avoir l'air moins suspect.
Une question s'impose alors à moi avec une légère commotion à l'âme. Depuis quand ai-je ce genre de crainte ? J'ai toujours fait ce que je voulais plus ou moins, sans me soucier du regard des autres. Alors pourquoi maintenant cela serait une préoccupation ?
Peut-être parce que les choses deviennent enfin sérieuses, me dis-je.
Je repense alors à mon rendez-vous avec Lord Gilderstone, ainsi qu'à sa proposition. Cela fait quelques jours et je n'ai toujours pas émit de réponse... Il était des plus sérieux. Je devrait peut-être accepter. Nous pourrions faire de grandes choses en alliant nos efforts ! Alors pourquoi j'hésite ? N'est-ce pas ce que j'ai toujours voulu ?
Je soupire et me reconcentre sur mes notes. Je relève la tête quand une petite fille tenant la main de sa nourrice me dit bonjour avec grand sourire innocent. Je lui fais un petit coucou de la main en souriant à mon tour, du baume au coeur.
Qui ne dure pas. Elle ignore encore tout de cette société et de ce que l'on va attendre d'elle, des exigences auxquelles elle va devoir se plier. Elle n'est pas une victime en devenir, elle l'est déjà de part sa naissance, sans le savoir...
Je secoue la tête et soupire. Je jette encore un coup d'oeil au militaire et au garçon qui sont en plein exercice.

Si je pouvais, j'irais voir cet homme pour lui demander de m'enseigner. Mais la vague à l'âme, je ne suis pas d'humeur à supporter que l'on me rit au nez. Pas aujourd'hui.
Je ferais mieux de partir, je me fais plus de mal qu'autre chose, à regarder quelque chose qui me sera à jamais inaccessible... Et il est tard. Je ne suis visiblement pas la seule de cet avis, car enfant et professeur se séparent. Je me lève et défroisse ma robe avant de m'éloigner d'un pas rapide. Je n'avais pas vu l'heure et je il faut que je sois rentrée assez tôt pour avoir le temps de me préparer avant le dîner ! Je souffle par le nez, ma mauvaise humeur des derniers jours s'étant accentuée.
J'ignore si mon agacement et ma frustration a à voir là-dedans, mais j'ai l'impression d'oublier quelque chose. J'ai beau y réfléchir, je ne vois pas de quoi il peut s'agir.
Tant pis, cela me reviendra, c'est que ce n'était pas important...