Une journée au champ de course | Rufus & Amelia

18 Avril 1816 « Est-ce notre frère qui t’a demandé de m’accompagner ? » Allen avait donc attendu qu’ils soient arrivés pour oser poser cette question qui, elle l’avait deviné, lui brûlait la langue depuis le moment même où la porte de la voiture s’était refermée sur eux seuls. Amelia haussa les sourcils avant de prendre le bras de son cadet, soupirant longuement. « En aucun cas, bien que je le soupçonne de se rassurer en songeant au fait que nous soyons ensemble, tant pour que tu puisses veiller sur moi que moi sur toi. » Offrant au plus jeune des Gilderstone un sourire sincère et empreint de cette affection qu’ils savaient avoir l’un pour l’autre, elle lui emboîta le pas, son sourire ne faisant que s’élargir alors qu’ils passaient le proche de l’hippodrome d’Ascott. « Et tu sais comme j’apprécie voir ces bêtes courir. Je me réjouis déjà des courses à venir et je sais que Anticipation saura tirer son épingle du jeu parmi les partants, grâce à ta supervision. » Le jeune frère eut un léger sourire en coin qu’il tenta de contenir, préférant conserver ce masque de bouderie liée aux frasques dont on le soupçonnait déjà de commettre avant l’heure. N’avait-il pas juré à leur mère de se comporter dignement ?

Quitter la capitale pour une paire de jours était un véritable soulagement pour la jeune femme. Ils auraient pu partir aux aurores et rentrer après le coucher du soleil, mais Amelia avait invoqué un besoin certain de prendre l’air, loin de la Capitale, au moins pour une nuit. Et se rendre à l’hippodrome afin de contrôler l’entraînement du favori des Gilderstone était l’une des tâches qui était offerte à Allen. Alors oui, Frances avait bien espéré que la jeune femme accepte d’accompagner le benjamin afin de faire d’une pierre deux coups : Amelia pourrait veiller à ce que son frère ne se comporte pas comme l’homme assoiffé qu’il pouvait être, et Allen pourrait se faire garant de son aînée alors qu’elle prenait quelques temps de repos à la campagne. Ce n’était en rien un sacrifice puisque la blonde adorait réellement voir les équidés offrir leur plus belle foulée pour mieux avancer à des vitesses effrénées. Elle rêvait pouvoir ressentir cette frénésie toute particulière, incapable d’y goûter cependant, le sport étant des plus dangereux pour une demoiselle de son acabit.

Saluant quelques amis de la famille, Allen lui conseilla de prendre place dans les gradins. Elle pourrait gratouillait le champion après son entraînement. Pour l’heure, lui devait aller superviser la mise en place de tout ceci. Hochant sagement la tête, Leah la suivant telle une ombre invisible, les deux femmes prirent place à l’ombre, observant la piste et les autres bêtes qui courraient. Un bai attira tout particulièrement le regard de la demoiselle. Si les Pur-Sang étaient merveilleusement beaux, celui-ci était particulièrement bien bâti. « Cette bête est magnifique… Regarde comme ses membres se déploient… Allen a plus qu’intérêt à veiller sur son champion, cet animal semble taillé pour gagner. » Ce qu’elle ignorait, c’est que son propriétaire se trouvait non loin d’elle.

18 Avril 1816 Il y avait une satisfaction toute particulière à observer un équidé se mouvoir avec grâce. Amelia possédait cet œil avisé appréciant la bête, apprenant aisément quels étaient les critères qu’il lui fallait guetter pour mieux remarquer une monture digne de fouler les champs de course. Anticipation, le cheval que son benjamin avait su acquérir, était un de ces animaux qu’elle trouvait miraculeusement beau. Pour sûr, Amelia y croyait, l’équidé saurait se remarquer dans la prestigieuse course du Derby d’Ascott. Mais il n’était pas seul cheval remarquable et c’était le regard captivé par cet autre bai qu’elle n'avait auparavant jamais vu courir qu’elle avait su glisser à sa femme de chambre cette remarque qu’elle pensait ne voir rester qu’entre elles.

Ouvrant son réticule pour mieux s’emparer de ses petites jumelles, l’attention entièrement dédiée à l’athlète, elle haussa les sourcils quand une autre voix grave, se fit entendre derrière, forçant la demoiselle à quitter cette vision superbe pour mieux toiser cet homme d’un certain âge. Vous avez l’œil. Ou bien du flair. Voilà une réflexion qu’Amelia jugea fort peu flatteuse. Ne la comparait-il pas justement à un canidé semblable à celui qui semblait s’être assoupi à ses pieds ? Fort heureusement, évoquant également une possible expérience, il sembla qu’il ne saurait lui être entièrement désagréable. Pour autant, Amelia n’avait nulle idée de qui s’était immiscé ainsi dans cette pseudo-discussion. Leah, elle-même, sembla doucement surprise par cette intervention qui ne ressemblait en rien à ce qu’elle connaissait des convenances chez les Nobles gens. Pourtant, noble, il l’était à n’en pas douter, à moins que sa richesse ne soit que bien trop fournie pour tenter de combler un manque de titre.

Relevant le menton, ne quittant pas son banc, Amelia toisa de ses prunelles de glace l’homme avant de juger bon de lui répondre. « De l’expérience, monsieur. Mon père et mes frères ont su m’apprendre à juger bonne monture par son allure… Mais aussi par les soins qu’il reçoit. C’est d’ailleurs ainsi que j’ai pu choisir mon propre cheval. En aucun cas, je ne peux flairer les qualités d’un cheval. » Reposant un instant son attention sur le sujet même de cette discussion, elle poursuivit. « C’est un grand équidé, ce qui signifie que ses foulées seront naturellement plus grandes, lui garantissant un effort moindre pour franchir une distance particulière. Il possède également un arrière train légèrement relevé ce qui est gage de la puissance qu’il peut engager dans ses foulées, mais aussi que son avant-main n’est pas à prendre en défaut. Sa pointe de vitesse ne peut entre être que plus fulgurante… La seule chose que je ne peux estimer de mon point de vue, c’est son endurance. » Bien qu’elle devinait aisément qu’il concourrait également le Derby. Quittant la monture des yeux, s’en retournant à nouveau vers le vieil homme, elle fronça les sourcils. « Mais, je ne suis guère sûre de vous apprendre la moindre chose… N'est-ce pas ? » A sa façon dont il avait ouvert cette discussion, elle pouvait sentir la fierté sous-jacente. C’était son cheval, ou celui de sa famille, à n’en point douter.

18 Avril 1816 Son attention oscillait entre les chevaux et cet interlocuteur surprise qu’elle ne se voyait guère snober, en grande partie parce qu’elle ignorait son rang social. L’homme était d’un âge, de toutes façons, fort avancé qu’il méritait son respect et son écoute, quoiqu’il arrive. En aucun cas, on ne saurait la blâmer de pousser conversation dans le but de séduire un inconnu. Et cette erreur, elle ne l’avait commise qu’une fois et avait su tirer leçon de cet abus qu’elle avait subi.

Amelia Gilderstone était de celles qui s’étaient entraînée leur vie durant à plaire à quiconque, sa conversation étant pleine d’esprit et se montrant capable de s’adapter à son auditoire. En l’occurrence, elle savait qu’il serait insultant pour l’homme de l’entendre parler chiffon et un léger sourire ne pu que naître sur ses lippes rosées quand l’homme avait laissé échapper un petit rire. Elle visait juste, une fois de plus, sachant satisfaire son vis-à-vis. Arthur aurait été présent, il aurait été plus que fier d’elle bien qu’aurait également cherché à tempérer ses propos qui se voulaient assurés et empli d’un orgueil non dissimulé qu’elle se permettait d’avoir dès lors qu’elle foulait les champs de course. Elle avait l’œil et connaissait les équidés pour mieux se permettre de faire claquer sa langue.

Vos paroles sont rafraîchissantes, intéressantes et pleines de vérités. Souriant poliment en réponse, elle inclina le chef en direction de l’homme, avec un respect certain, reconnaissant modestement les compliments qu’il lui adressait. S’il ne répondit pas directement, il semblait lui faire entre les lignes qu’elle avait également raison concernant l’appartenance de cette monture, un doute demeurant cependant sur la chose. Les yeux à nouveau plongés sur les pistes, elle haussa les sourcils, lui offrant toute son attention quand il chercha à savoir si elle possédait l’un des participants de la course du jour. « Ma famille a su mettre la main sur un jeune prometteur. Mon jeune frère est partisan de le ménager pour l’heure, il ne courra qu’en pleine saison. Nous sommes venus guetter ses entraînements. » Attrapant ses jumelles, elle chercha le principal concerné avant de sourire. Se détachant des hublots, elle se tourna à nouveau vers l’homme. « Il s’agit de l’alezan sur la ligne opposée. Son jockey porte une casaque bleue. » Elle attendit qu’il ne puisse le percevoir avant de froncer doucement les sourcils. « J’espère que vous saurez pardonner mon audace, mylord, mais d’ordinaire les conversations ne prennent place qu’après des présentations convenables, aussi, j’aimerais réparer cet impair. Je suis Amelia Gilderstone, sœur d’Arthur Gilderstone, comte de Suffolk, et j’aimerais savoir de qui mon frère doit désormais se méfier quand il s’agit de champ de courses… »