"Les noces de Figaro", Mlle.Cornwall & M.Wilde.

C'était en cette belle après midi qu'Earnest a accepté l'invitation de Swan pour l'Opéra. Cela fait quelques jours qu'il avait reçu une lettre de la part de son ami d'enfance, lui proposant de venir avec lui. Earnest n'est guère friand de ces chants à en perdre les tympans mais soit, Swan avait eu l'air heureux d'apprendre qu'Earnest acceptait l'invitation. Et il faut être honnête, le Colonel souhaite renouer un peu avec l'oiseau blanc. Cela fait si longtemps qu'ils ne s'étaient pas parlés. Croisés, oui. Quelques fois, tout au plus. 

-Je suis heureux que vous soyez venus. 

Ils ne se tutoient pas en publique et très rarement en privé, cela a toujours été. Sauf quand ils sont en colère l'un de l'autre. Là, plus de titre de noblesse, simplement de la familiarité et des disputes. Quand Earnest est en colère, il parle de manière de plus en plus soutenu et froide. Cependant, pas avec Swan. Avec Swan, cela a toujours été différent. Swan le dédaignait et Wolf en faisait de même. Le noble revoyant toujours Earnest à son statut de pauvre. C'est pourquoi Earnest le tutoie quand il est en colère, il insinue de cette manière que le Colonel se fout totalement du rang social de son ami, celui-ci reste du même niveau que lui quand ils débattent sur un sujet. Après quelques années, Swan n'a pu que si résoudre et accepter ce fait. 

-Je suis ravi que vous m'ayez invité. Les noces de Figaro me semble fort divertissant.  

Ils sont tous les deux assis sur leur siège, du haut de leur balcon. Un place de choix. Des loges réservées aux plus offrants et au personne qui le mérite. Enfin Earnest le sait d'après les dires du cygne qui aime accentué ses privilèges de bourge. Guère étonnant, Swan est tout de même quelqu'un d'influent et d'important mais clairement, ce n'est pas la modestie qui le sauvera... 

Du coin, le prédateur voit la proie observer deux demoiselles, assises plus bas. Cependant, il ne fait rien. Pas encore, suppose Swan. 

-Swan ! Je te prie de cesser ces enfantillages ! Si c'est comme cela, je m'en vais regarder ailleurs, loin de toi et de ta bouche qui en dit trop. 
S'exclame Earnest. C'est la dixième fois que Swan lui explique ce qu'il va se passer ensuite. Wolf a très envie de mordre Swan. Celui-ci veut juste, encore une fois, prouver qu'il a déjà vu "Les noces de Figaro". Le cygne est gentil et veut bien faire mais son égo n'a d'égal que sa richesse. 

Earnest descend donc de la loge pour arriver sur les places plus communes, dirait-il. Swan le suit, agacé. 

-L'Act I n'est pas encore fini ! Tu ne vas pas en faire toute une scène !  

-Justement, j'aimerais pouvoir l'entendre, ce qui se passe sur cette scène ! Parce que pour l'instant, je n'ai entendu que ta voix ! 

Puis, soudain, ils se retrouvent devant deux femmes. Earnest est de suite attiré par la femme, cheveux marrons foncés, yeux bruns en amande. Contrairement à Swan qui dévore des yeux la femme qui l'accompagne. 

-Où sont donc passées mes manières ? Je vous prie de l'excuser, mesdemoiselles. Mon ami ne sait pas se conduire devant de jolies femmes. 
Dit le noble en offrant un clin d’œil à l'amie de Crystal. Earnest ne peut que rouler des yeux devant les paroles de Swan. 

-Earnest Wilde, je vous présente Crystal Cornwall, la baronne de Corwall et Crystal Cornwall, je vous présente Earnest Wilde, le Colonel Wilde. 

Earnest sourit à la jeune femme et lui prend délicatement la main afin d'y déposer un chaste baiser. 
-Un honneur de faire votre connaissance, Milady. J'espère que mon ami et moi-même ne dérangeons pas trop votre quiétude. 

-Maintenant que j'ai terminé les présentations, pourriez-vous me présenter la belle femme qui demeure être près de vous, Madame Cornwall ? 

-Et après, c'est moi qui ne sait pas comment me conduire devant une belle femme ? 
Proteste Earnest, en bougonnant.

Abigaëlle m’avait seriné pendant des jours pour que je vienne à l’Opéra avec elle. Je n’en avais nullement envie, n’étant pas attiré par cela, mais elle avait insisté plusieurs fois, disant que c’était un véritable succès à Londres, que toute la bonne société en parlait et que cela serait un affreux faux pas que de ne pas y assister. Et puis selon elle, je m’étais privée assez longtemps des joies londoniennes, il était temps que je recommence à y participer. J’avais très envie de lui dire que je n’étais pas responsable, que j’étais en deuil, mais je savais que cela la froisserait donc je me taisais. A la place, j’avais déroulé bon nombre d’excuse plus valable les unes que les autres, mais une par une elle les avait démontés, me forçant à être inventive. Et puis, de guerre lasse, j’avais fini par lui céder et on se donna rendez-vous devant l’entrée pour rejoindre nos places ensemble. Pour l’occasion, j’avais ressorti l’une de mes robes de soirée d’un rouge éclatant. Je ne souhaitais pas me faire remarquée plus que nécessaire, mais je savais que c’était le genre d’événement où le paraitre était important et donc je ne pouvais pas m’y dérober. On me savait revenu en société, il me fallait tenir mon rang. Rejoignant mon amie, je me saisissais de son bras et plongea en sa compagnie dans le bain des mondanités.

Alors que nous regardions l’Acte 1, cette pièce était définitivement d’un ennui mortel, des éclats de voix se firent entendre depuis l’une des loges. Apparemment, deux hommes n’étaient pas d’accord sur un sujet et l’un d’eux voulait quitter la loge, alors que l’autre lui demandait de ne pas en faire une scène. En tout cas, si sur scène les artistes continuaient à jouer, dans la salle certaines personnes semblaient projeter des envies de meurtres sur les deux hommes.
Et quand je vis l’un des protagonistes de la dispute, je ne pus pas m’empêcher de soupirer. Bien sûr, il fallait que cela tombe sur cet homme imbu de sa personne qui pensait tout savoir et tout connaitre, n’hésitant pas à l’étaler aux yeux de tous, quitte à ce que cela soit indécent. Et apparemment, il poussait l’indécence jusqu’à faire les présentations en pleine acte, ce qui m’agaça au plus haut point. Je me fis la promesse de lui en toucher deux mots à l’entracte. Je laissais son compagnon, un certain Earnest Wilde me faire un baise-main tout en lui murmurant que nous pourrions parler amplement à la pause. Quant à ce goujat qui me demandait de faire les présentations, je me contentais de l’ignorer superbement, restant concentrée sur la scène. Mais je ne manquais pas de sourire dans l’ombre en voyant le malpoli essayer d’expliquer ce qu’il se passait à Monsieur Wilde et se prendre de violent coup de coude dans les côtes par sa voisine qui ne se gênait pas de le faire dans l’espoir de le faire taire.

Le rideau finit par tomber, les lumières se rallumèrent et je me tournais vers l’impoli, le fusillant du regard.

« Monsieur le Duc, je ne vous savais pas aussi irrespectueux de l’art. Auriez-vous assez de négligence pour le travail de ces artistes, de désinvolture pour oser m’adresser la parole alors que nous sommes en plein acte. Vous m’avez offensée et couverte de honte avec votre comportement. Car j’ai honte de connaitre un homme qui ne respecte pas les arts et se permet de parler tout simplement pour étaler ses connaissances, ce qui est une preuve irréfutable de votre suffisance. Si vous étiez mon fils, vous auriez déjà été corrigé avec une volée de bois vert pour vous faire passer ce dédain et ce manque de politesse. »

Me tournant vers Monsieur Wilde, je m’apaisais et lui servit une légère révérence.

« Colonel Wilde, c’est un plaisir de vous rencontrer. Vous me voyez peinée que vous ayez dû assister à ce recadrage de Monsieur le Duc. Vous n’avez aucunement dérangé notre quiétude, certaines personnes ici présente devrait prendre exemple sur votre calme et votre tempérance. Mais je manque à tout mes devoirs. Colonel Wilde, permettez-moi de vous présenter Lady Abigaëlle de Perlimpinpin, une amie très chère qui m’accompagne. Cela fait, je vous pris de m’excuser, je souhaiterais aller me chercher une collation avant que le prochain acte ne commence. »

Je m’inclinais devant mon ami et Monsieur Wilde et me détournais pour sortir de la salle. Je me dirigeais vers le bar où je savais pouvoir trouver mon bonheur avant de rejoindre le salon dédié, mon verre à la main. Je ne souhaitais pas pour le moment retourner à ma place où devait m’attendre les deux hommes et mon amie, et à vrai dire, je ne savais pas si j’allais continuer à regarder ou pas. J’avais trouvé l’acte vraiment long et ennuyeux, sans qu’il n’apporte plus que cela de divertissement. Ce Mozart était peut-être un virtuose, mais ses œuvres n’étaient pas à mon goût.

Alors que je portais mon verre à mes lèvres, un valet vint m’apporter un message. Abigaëlle s’excusait mais le Duc l’avait invité dans sa loge et elle n’avait pas pu décliner son invitation. Je devrais donc continuer la représentation seule, ce qui ne me ravissait pas du tout et m’incitait même à partir dès à présent, quitte à alimenter les ragots.

Earnest hoche juste la tête devant le chuchotement de la demoiselle à qui il a offert un baise-main. Il lui sourit même. Ils pourront faire plus ample connaissance. 

Ho mais il faudrait le ballonner cet homme ! Il n'arrêtera donc jamais d'étaler son savoir acquis par la richesse et clairement pas pour ses études. C'est celui qui travaillait le moins ! Earnest a un sourire quand la demoiselle, dont il ignore encore l'identité, vient asséner un coup de coude à Swan pour le faire taire. Cela a fonctionné, une petite dizaine de minutes... Jusqu'à ce qu'il reprenne de plus belle.  

Puis l'Act I de la représentation se termine sous les applaudissements des spectateurs. Earnest a bien sûr applaudit, mais de politesse. Cet opéra lui semble bien fade. Est-ce pour cause, le manque d'investissement dès les premières paroles échangées, conséquence des babillages incessant du Duc ? Ou simplement parce qu'Earnest connaît déjà la pièce par cœur grâce au dévouement de Swan a tout lui expliquer, de fond en comble. Dans tous les cas, c'est à cause de son ami ! C'est évident ! 

Puis le rideau tombe, les lumières s'allumèrent dans toute la grande salle, et ensuite Wolf regarde avec un sourire moqueur Swan se faire descendre en public par sa connaissance, la femme qui a attiré son regard. Il suppose que le karma a fait son cheminement dans l'égocentrisme du Duc. Peut-être redescendra-t-il de son piédestal ? Qu'est qu'il raconte ? Non, évidemment que non. Cela reste Swan après tout. 

A la révérence de Lady Cornwall, Earnest lui offre une génuflexion en se penchant en avant, tout en assurant le maintien de sa modeste toilette, à l'aide de sa main. 

-Je puis vous assurer que le plaisir est partagé. N'en soyez pas peiné, au contraire, je suis conquis. Vous me voyez rassuré, je conçois m'être autant immiscer dans votre sortie que mon ami. Je vous prie de bien vouloir m'excuser, notre rencontre fut si abrupte et impromptue et j'en suis entièrement le coupable. Me permettriez-vous de me faire pardonner dans un avenir proche ? 
Dit-il en insinuant fortement qu'il souhaite la revoir. 

Avec un hochement de tête, il lui répond. 
-Merci de nous avoir présenté. Et je comprends que vous deviez partir. Puissions-nous nous revoir, lady Cornwall. 

Comme pour Crystal, Earnest lui offrit un baise-main. Tout de suite bousculé par Swan qui vient lui prendre sa place. Earnest a à peine pu dire la formule de politesse ! Ce n'est pas lui le malpoli en ces lieux ! Humph. 

De fil en aiguille, la conversation va de bon train, les deux jeunes gens semblent s'enticher l'un de l'autre. 

-Permettez-moi de vous demander si vous voulez bien contempler l'Act II et tous ceux qui suivront dans ma loge ?

Dans "sa" loge ? Celle où Earnest était assis dedans il y a à peine une dizaine de minutes ? Swan se fout de lui ! 

-Wilde ? Attendez-moi ici jusqu'à la fin. 

Earnest est peut-être un loup mais n'est pas un vulgaire chien ! Il ne va clairement pas l'attendre, Swan abandonne Wolf, Wolf abandonne Swan. Celui-ci a fait son choix. C'est avec un...

-Profitez-bien de votre soirée ensemble. 
Très hypocrite mais poli qu'Earnest, sans plus de cérémonial, s'en va. 

-Où allez-vous ? Oh, peu importe, venez ma chère. 

Earnest avait très envie de commettre un meurtre. Il n'allait pas le faire, évidemment. Mais l'envie ne manquait guère. Il soupire, cela ne sert à rien de s'énerver contre cet homme pourri gâté, son ami qui plus est ! 

Earnest se dirige donc vers la sortie, puis il regarde... 

-Lady Cornwall ? Vous avez autant été délaissé par votre amie que moi par le mien à ce que je vois. 

Avec un sourire carnassier, digne d'un loup, il a une idée qui germe dans son esprit. Si Swan pense qu'il va l'attendre, il peut toujours courir ! Earnest lui fera faux bon, reste à savoir si Crystal sera avec lui ou non. 

-Lady Cornwall... Pourrais-je vous faire une proposition indécente ? Quand je vous ai dit que j'aimerai me faire pardonner dans un avenir proche, je ne pensais pas que ce serait si proche justement. Cependant si vous n'en voyez aucun inconvénient, évidemment, j'aimerai beaucoup que vous m'accompagniez à une balade, dans un parc non loin d'ici, à moins que quelque chose d'autre ne vous retienne ? Ce que je comprendrai.  

Perdue dans mes pensées, hésitant à partir dès à présent, je ne remarquais pas au premier abord le colonel qui semblait aussi délaissé que moi. Relevant la tête quand le colonel s’adressa à moi, je ne pus que lui sourire d’un air désabusé.

« Il semblerais que oui. Mon amie a rejoint votre ami et je crains que nous soyons laissées de côté tout les deux. Et je pense que si j’étais mesquine, je leur souhaiterais un Acte II des plus horrible. Déjà que je n’ai pas aimé l’Acte I, je ne souhaite pas y retourner. Surtout que c’est mon amie qui m’a forcé à venir. J’accepte volontiers votre proposition de promenade dans le parc. Allons alimenter de potentiels futures rumeurs. »

Reposant mon verre, je lui tendis mon bras pour que nous nous éclipsions. Tout du long, alors que nous cheminions à contre-sens de la foule qui allait se réinstaller, je sentis des regards sur moi, regards dont je n’avais cure. J’avais fini mon deuil, j’étais bonne à remarier, il était normal que je semble m’amouracher d’un homme. Après tout, j’étais encore si fragile mentalement, j’avais le droit de faire des écarts.
Sortant enfin de la foule, j’inspirais une grande bouffée d’air, les yeux fermés avant de suivre Monsieur Wilde sur un banc. M’installant, je le regardais, me demandant comment poursuivre cette conversation entamée un peu plus tôt.

« Tout à l’heure vous parliez de vous faire pardonner. Mais qu’est-ce que vous avez à vous pardonner ? Le comportement de votre ami ? Mais vous n’êtes pas responsable s’il est impoli comme un malotru. Vous n’êtes pas sa mère, ni sa nourrice, ce n’est pas à vous de faire son éducation. D’ailleurs, je l’ai toujours connu aussi épouvantable et dans certains cercles il n’est plus le bienvenu, du moins c’est ce que j’ai cru entendre. »

Earnest pense que les deux jeunes gens se sont bien trouvés ! Au détriment de lui et de sa, peut-être hypothétique prochaine connaissance. Ils sont peut-être des nobles, mais le Colonel craint fort qu'il ne soit respectueux qu'envers ceux de leurs mêmes conditions sociales, et encore ! Parfois, tout porte à croire que c'est faux.

Avec un sourire qui se voulait blagueur, il lui répond.
-Peut-être ne l'êtes vous pas, mais moi, je peux me montrer des plus mesquins ! Je le leur souhaite, pour vous comme pour moi, cet affreux acte II !
S'exclame-t-il d'un rire peu sérieux, et léger.

-Je dois admettre que je n'ai pu profiter du tout de l'Act I. Je ne pourrai donc juger. Mon ami m'a invité également, et il n'aime pas "non" pour réponse. Il peut être des plus têtus ! Il n'empêche que je suis heureux de vous savoir accepter ma proposition.

C'est en lui proposant son bras, pour qu'elle puisse venir s'y accrocher et s'y reposer, qu'il lui dit.

-Je vous en prie, alimentons des rumeurs plus grotesques les unes que les autres.

Il sent que dans le bar, il va en entendre parler ! Mais il pense que cela en vaut la peine. Et puis cela fait suspect, non ? Le fait qu'il n'ait jamais été vu avec une femme à son bras. Si ce n'est Lucy, mais jamais personne, pas même lui, ne les verrait comme couple ! Ce qui n'est pas le cas de Lady Cornwall. Elle est noble, belle, a du caractère, puis elle semble avoir son âge, et à ce qu'il a entendu, elle est bonne à remarier ! Bien qu'un mariage semble précipité, il veut d'abord la connaître pour lui accorder sa confiance.

Elle prit son bras et ils s'en allèrent vers la verdure réservée pour tous. Elle s'assit sur un banc, Earnest préfère rester debout, juste à côté d'elle. Prêt à écouter ce dont elle voulait lui parler.

-Je suis le principal responsable de cette situation, et bien que votre compagnie ne me déplaît guère, il se pourrait que l'inverse ne soit pas le cas. Je suis celui qui est parti de la loge et vous ai dérangé, votre amie et vous-même lors de ce spectacle. Cela m'étonne pas ! Il reste tout de même Duc, bien qu'il ne soit plus le bienvenue, il le reste pour faire bonne figure.