A little promenade | Benjamin

Le Parc de Vauxhall avait la réputation d'être romantique. Sûrement à cause de ses ruines gréco-romaines. Apparemment, ce qui était vieux était romantique. Lola était une jeune femme profondément romantique. La société lui disait qu’elle devait aimer ces ruines. Alors elle les aimait.

Ce jour-là, la brune avait rendez-vous, accompagnée de sa belle-mère comme chaperon, avec son fiancé de longue date. Récemment, ils essayaient de mieux apprendre à se connaître, dans l’optique de passer leur vie ensemble. Enfin, c’était plutôt leur parents respectifs qui les poussaient à cela. C’était d’ailleurs eux qui avaient organisés ce rendez-vous galant à Vauxhall. Lola en était heureuse. La Percy adorait passer du temps avec Benjamin, qu'elle trouvait charmant et qui l’avait charmée. Leur parents avaient organisés cela dans le principal but de les rapprocher.

La jeune fille arriva un peu avant quatorze heures au point de rendez-vous, accompagnée de dame Percy. Elles étaient légèrement en avance. Lola avait des fleurs dans ses longs cheveux assorties à sa jolie robe bleue. Puis, elle finit par voir son fiancé arriver. Son cœur battait la chamade. Les jeunes gens se saluèrent amicalement et poliment.

— Bonjour, comment allez-vous ?qu'elle lui avait demandé poliment pour engager la conversation. Je trouve cet endroit absolument magnifique, pas vous ?

Le Parc de Vauxhall est l'un des meilleurs lieux pour pécho de la donzelle à grands renforts de promesses qu'on ne compte pas tenir. Les fausses ruines d'inspiration antique font chavirer les cœurs sensibles des femmes dans la mélancolie – et moi derrière je n'ai plus qu'à me pencher pour les ramasser.

C'est pratique pour faire tourner la tête d'une jeune naïve qui n'attend que le premier souffle de vent pour chuter, au sens métaphorique et social du terme. C'est un peu moins pratique quand vos parents et futurs beaux-parents ont décidé de vous y envoyer, escorté par votre matrone de future belle-mère, afin de faire chavirer le cœur de votre fiancée.

Lola est charmante, parfaite – trop parfaite. Elle en devient fade. Toujours soumise, toujours obéissante, oui Mère, oui Père, comme vous le voudrez mes chers parents. Oh, ce n'est pas que je passe de mauvais moments en sa compagnie. N'importe quel gentilhomme serait fou d'enthousiasme à l'idée de passer le reste de son existence avec elle. Enfin, n'importe lequel à part moi. Mais enfin. C'est le lot de ma condition sociale. Le mince prix à payer. J'aurais pu tomber plus mal.

Ce n'est pas elle qui hante mes pensées, mais c'est tout comme. Je souris en la voyant approcher. Cette robe bleue que Keana a probablement boutonnée. Ces fleurs probablement cueillies par Keana, glissées dans des cheveux probablement coiffés par Keana...

Je m'incline en souriant devant Lady Lola, et lui fais un baise-main, espérant y trouver un peu de l'odeur de Keana. Ou de ses lèvres peut-être, car après tout, pourquoi une dame de compagnie ne baiserait-elle pas la main de celle qu'elle sert ?

Je plonge mon regard dans ses yeux de biche, cherchant à y retrouver peut-être le reflet de Keana. J'entends à peine lorsqu'elle me demande comment je vais, commentant le paysage alentours. Je me ressaisis. Plus je passe de temps avec Lady Lola, plus j'aurai de chances d'apprendre, au détour de la conversation, quelque chose au sujet de Keana. Plus je passe de temps avec Lady Lola, plus je me rapproche de Keana.

- Je suis d'accord avec vous, Lady Lola. Cet endroit est véritablement ravissant. Un lieu charmant pour une promenade en charmante compagnie.

Je louche en direction de la matrone Percy. J'essaye d'estimer à quel point je peux me permettre d'user de mes charmes avec la demoiselle. Mais, comme c'est en se lançant à l'eau qu'on apprend à nager, je poursuis :

- Je dois avouer que la compagnie est bien plus charmante que le décor dans lequel j'évolue.

En bon gentilhomme, je fais signe en direction d'une allée large, sablée, ratissée, juste assez au soleil pour éviter la fraîcheur d'avril, juste assez ombragée pour éviter tout inconfort. Je lance un large sourire à notre chaperon et tente une pirouette pour la congédier.

- Je vous remercie de la distance que vous prenez avec nous, Lady Percy. Votre pudeur face à notre amour naissant, est touchante. Je pense que cette allée sera parfaite pour notre promenade, à Lady Lola et moi-même. Il y a un banc juste là, qui permet d'avoir une bonne vue sur toute la zone, dans le cas où vous souhaiteriez vous y installer afin de conserver votre énergie pour le thé de tout à l'heure.

Ce qui est une façon polie de dire : « Restez sur votre banc, vieille grincheuse, et laissez les jeunes s'amuser un peu. »

Les deux jeunes gens se saluèrent, tandis que Lady Percy les regardait de derrière. Benjamin lui fit un baisemain, ce qui la fit légèrement rougir et détourner la tête. Puis, il plongea son regard dans ceux de sa fiancée, qui dégageait la joie de vivre que la demoiselle ressentait en cet instant. Le pur bonheur, voilà ce que c’était.

— Eh bien je vous remercie pleinement, Lord Benjamin. Mais je dois vous avouer que l’idée de cet endroit n’est pas de moi, mais bien de Lady Percy.

Lola était une jeune fille modeste, qui n’aimait pas accepter les compliments sans partager le mérite. Cela lui semblait évident que ce compliment ne devrait pas être dirigé vers elle, mais plutôt vers leur chaperon. C’est pourquoi la brune tourna son regard vers celle-ci tout en détournant le compliment de son fiancé. C’est alors que celui-ci s'adressa à la plus âgée, souhaitant très clairement se débarrasser d’elle. La brune songea que c’était quasiment impoli comme approche envers sa future belle-mère mais qu'avec un peu de chance, cela marcherait.

— Au contraire, je ne suis point fatiguée. Cette allée est parfaite. Je me promènerais loin derrière vous deux pour vous laisser vous amuser entre « jeunes » tout en profitant de cette magnifique allée.

C’était bien tenté, mais Lady Percy était des plus têtue. Si elle s’était mise en tête de surveiller Lola afin de s'assurer que Benjamin ne la déshonore pas, alors il était impossible de l'en dissuader par n’importe quel moyen existant. Cela n’empêcha pas la jeune fille d'être déçue; elle aurait bien apprécié une promenade en tête-à-tête avec le blond.

Ils commencèrent donc à évoluer sur la parfaite allée que Benjamin avait désignée plus tôt, suivis par la chaperonne qui s’était donnée une distance d'une dizaine de mètres.

— Vous savez, j’aime beaucoup Londres, mais j’ai hâte de retourner dans notre résidence d’été, commenta-t-elle pour lancer une conversation.J'aime beaucoup pouvoir broder au soleil en bonne compagnie, je trouve cela agréable.

Je grimace en entendant Lady Lola mentionner sa mère. Marâtre ? Je crois que c'est sa mère adoptive, que son père s'est remarié, mais après tout peu importe. Dans tous les cas, c'est ma future belle-mère. Dans tous les cas, c'est notre chaperon du jour. Dans tous les cas, elle va nous traîner dans les basques comme des goélands après un chalutier.

Bon, la tentative de se débarrasser d'elle a échoué. Elle daigne nous laisser de l'espace, mais pas trop quand même. Il faut faire contre mauvaise fortune bon cœur, après tout.

Je souris à Lady Percy de la manière la plus polie et la moins grimaçante que je peux :

- De toute évidence, la jeunesse et l'énergie sont partagées par toutes les femmes de la famille. Je vous souhaite une promenade agréable, Lady Percy, et j'espère que les égarements de notre jeunesse ne heurteront pas votre sensibilité.

Lady Lola à mon bras, je m'engage dans l'allée, qui me semble soudain aussi terne et fade et trop domestiquée, que la demoiselle qui évolue à mes côtés. Si j'arrive à l'heure du thé sans mourir d'ennui, ce sera un vrai miracle. Heureusement, la jeune femme desserre les lèvres et commence à parler. Sa conversation va être ma planche de salut !

- J'aime beaucoup pouvoir broder au soleil en bonne compagnie, je trouve cela agréable.

Oh par toute la pitié et toute la compassion de la Sainte Mère de Dieu ! Ma sauveuse a décidé en réalité de me porter le coup de grâce. Vite, il faut répondre. Trouve un truc, Benjamin ! Tu sais séduire à peu près n'importe quoi qui porte un jupon, c'est pas une parfaite et lisse gamine de bonne famille qui va te faire jeter ta langue au chat !

- Toute activité est plaisante lorsque la compagnie l'est, Lady Lola. La vôtre étant tout à fait charmante, je ne doute pas un instant qu'elle rende les travaux d'aiguille doux et agréables. Je jalouse presque vos compagnes, qui peuvent ainsi profiter de votre délicieuse conversation.

Et surtout de la présence de Keana. En bonne dame de compagnie, elle doit être aux premières loges pour les séances de broderie au soleil. Imaginer les rayons de lumière baiser son doux visage me fait monter le rose aux joues. J'aimerais être un rayon de lumière dans la campagne anglaise...

- Je vous remercie, Lord Benjamin, et vous souhaite une bien charmante promenade à vous et à Lady Lola.

Lola trouve Benjamin drôle, et vif d'esprit. C'était fou à quel point il savait tourner n'importe qui au ridicule sans pourtant manquer de respect. Elle trouvait cela merveilleux. La jeune fille remercia Lady Percy d'un sourire et d'un signe de tête et de s'engager au bras de son fiancé dans la magnifique allée qu'il avait désigné quelques instants plus tôt, suivis par leur chaperon. Elle rayonne, incroyablement heureuse, et décide de casser la glace en parlant de la résidence d'été des Percy, qu'elle aimait tant. Elle adorait inviter ses amies l'été à venir y boire une tasse de thé et à bavarder tout en travaillant sur leurs ouvrages. Londres était, en son opinion, bien terne comparée à la douce campagne britannique.

- Je dois avouer que ce que vous dites est bien vrai. N'importe quelle tâche peut être rendue agréable lorsque l'on est accompagnés des gens que l'on aime.

Elle réfléchit quelques instants, avant d'ajouter:

- Peut-être que vous pourriez éventuellement venir me visiter en campagne lors de la saison estivale ? Je suis certaine que Mère serait d'accord. Qu'en pensez-vous ?

La demoiselle sourit alors à ce qui, selon elle, était la meilleure idée qu'elle ait eu depuis longtemps.

- De plus, il fait un temps absolument divin en campagne durant l'été

Me voilà invité à une partie de campagne chez Lola et ses amies. Comme le dit ma charmante mais plate compagne :

- Il fait un temps absolument divin en campagne durant l'été.

Le temps qu'il fait, ou, la conversation des gens qui n'ont pas de conversation. Alors oui, je veux bien aller m'enterrer à la campagne avec ma fiancée, à condition que cela me permette de conter fleurette à Keana.

Ah, un pique-nique sur l'herbe en compagne de la fougueuse brune, l'air de la campagne, elle, moi, nous, personne à l'horizon...

- C'est une idée délicieuse, Lady Lola. Néanmoins, j'ose espérer que vous ne serez pas la seule jeune femme de votre âge dans la résidence ?

Ah, cela risque d'être mal interprété. J'ai peut-être une réputation de coureur, mais auprès de ma fiancée, j'ai aussi un devoir à accomplir. Digne, faire la cour, n'avoir d'yeux que pour elle, elle dont les yeux peuvent se poser sur Keana à longueur de temps alors que je suis condamné à jouer ce pantomime pour un publique de dupes – une vierge et une matrone.

Je me détourne pour masquer ma déception et mon embarras sous prétexte de cueillir une fleur champêtre au bord de la pelouse. Je la tends délicatement à Lola, avec le meilleur sourire charmeur que je parviens à afficher.

- Une jeune demoiselle telle que vous doit bien s'ennuyer lorsqu'elle est loin de ses compagnes, telle une fleur loin de ses semblables. Promettez-moi de ne point vous interdire d'inviter vos amies sous prétexte que je suis invité moi aussi.

Si Lola avait été Keana, je lui aurais volontiers glissé la fleurette dans les cheveux. Malheureusement ce n'est pas la brune Keana que j'ai devant moi mais la blonde Lola. C'est à peine si j'ai le droit de lui tendre mon bras en présence de la matrone alors, lui glisser une fleur dans les cheveux, n'y pensons pas !

Je n'y pensais de toute façon pas. Ce n'est pas elle qui fait battre mon cœur, mais celle dont les mains ont arrangé ces cheveux d'or que la fleurette bleue ornerait à la perfection. J'en rajoute une dernière couche pour enfoncer le clou.

- Après tout, pour mettre en valeur la beauté d'une fleur, il est préférable de la présenter en bouquet. Permettez que vos compagnes, par leur présence, puissent mettre en valeur la beauté de la fleur que vous êtes, Lady Lola.

Qu'est-ce qu'il ne faut pas dire pour pouvoir m'assurer que Keana soit bien là cet été, au milieu des pique-niques, des couronnes de fleurs et du thé à n'en plus finir.