Mais oui, mais oui... L'école est finie!

Dans neuf jours, c'était l'anniversaire de Maman. Et Sam avait fini le cycle permis par sa pension. Elle avait eu une belle et longue scolarité, elle avait rendu fière sa famille, mais Papa avait décidé qu'il était temps qu'elle revienne à sa famille.

Oswald était plutôt d'accord avec son Papa sur cette décision. Tellement d'accord qu'il s'était porté volontaire pour aller chercher Samantha a son pensionnat. C'était maintenant une fort belle jeune femme, ils ne pouvaient pas la laisser sans chaperon... Pis ça permettrait a son retord de frère de trouver le temps de lui demander de lui parler d'Aelis, qu'il n'arrivait pas a séduire.

Il arriva donc à l'école de jeunes filles, remplis les formalités demandées (et le dernier gros chèque de paiement) et, après des adieux déchirants, dont profitèrent les domestiques pour charger la voiture, ils montèrent et se mirent en route.

"Alors... contente d'entrer dans le grand monde?"

Faire ses bagages, vider sa chambre, décrocher le crucifix et les peintures qu'elle aimait bien pour les glisser dans la malle à dessin, tout cela avec un gout doux amer. Le Pensionnat avait été une étape importante de sa vie. Elle y était rentrée petit fille, elle en ressortait femme, avec toute l'élégance que ce nouveau statut implique.

Elle y avait observé ses camarades, tissé des liens qui serviraient dans le beau monde. Elle avait apprit les danses à la mode, le piano, le dessin, l'écriture qu'elle travaillait assidument avec Aelis, le maintient, l'art de la diplomatie et des plans de tables, comment relancer une conversation, avoir un arrangement floral de bon goût quelle que soit la saison, éconduire un cavalier trop pressant, encourager un bon parti sans le faire trop espérer, bref, tout ce qu'il fallait pour survivre dans la jungle qu'était la Haute Société.

Malheureusement, rien de tout cela ne lui avait laissé le loisir d'acheter un petit quelque chose à sa mère dont l'anniversaire était dans neuf jours à peine. Prévoyante, Samantha avait prévu le budget mais n'avait pas eu le temps.

S'attendant à trouver un domestique, voire sa mère, la jeune femme étouffa un cri de joie en apercevant la silhouette reconnaissable (et moustachue) de son frère. Là encore, le temps lui manqua. Ses camarades, plus jalouses de devoir rester que peinées de la voir partir, lui tombèrent dans les bras avec maintes promesses d'être amies pour toujours, de s'écrire souvent, de ne se détester jamais. Samantha su tout de suite qu'elles ne seraient jamais amies, qu'elles se détesteraient souvent et qu'elles s'écriraient parfois...

Puis, les domestique ayant mis à profit ce temps larmoyant pour charger la voiture, la jeune femme se détacha de l'étreinte des autres jeunes femmes pour saisir la main tendue de son frère et monter dans la voiture. Les premiers cahots à peine franchis, il lança la conversation.

"Soulagée. Ces dernières semaines n'en finissaient pas. Crois-tu..." elle hésita assez longtemps pour que ce soit notable et se lança. "Penses-tu que nous pourrions faire un détour ? Il y a une course que j'aimerai faire à l'insu de nos parents..." elle rougit. Dit comme ça, ça sonnait vraiment...incongru.

La joie à le voir de Sam gonfla le coeur d'Oswald de joie, mais aussi de regret. Elle semblait l'aimer cette petite soeur qu'il connaissait mal, mais qu'avait-il fait pour mériter ca? Il avait été plus proche de la soeur de Fox que de Samantha pendant longtemps...

Mais bon, elle ne semblait pas lui en vouloir, donc il était peut être encore temps de rattraper les erreurs du passé. Alors qu'elle était entourée de la horde de piailleuses, il fit donc le voeu de s'améliorer et de se rapprocher de sa soeur.

Ils montèrent en voiture et il ne laissa pas le silence s'installer, entamant la conversation par une banalité. Elle répondit par une autre avant de s'enterrer dans un silence géné, de préciser sa pensée et de rougir.

Le Vicomte retint le grand éclat de rire qui lui venait, ne laissant échapper qu'un sourire sarcastique.

"Je ne sais pas, je suis tout de même en charge de ta sécurité physique et relationnelle... Où veux-tu aller?"

"Chez le tourneur sur bois. C'est dans le quartier des artisans."

Il s'agissait en effet d'un jeune artiste qui venait de prendre la suite de son père et avait beaucoup de clientèle féminine, de plus en plus hautes dans la société. Il fallait dire qu'il était beau garçon, propre sur lui et toujours très poli ce qui ne faisait qu'ajouter au charme de ses créations toujours d'excellente qualité. Il avait un don, cet homme. Du moins c'est ce qu'on lui avait assuré entre différents coups de coudes et clin d'oeils suggestifs.

Pourtant, Samantha n'avait qu'une idée en tête.

"Je pensais offrir à maman des accessoires pour ses cheveux. Ils sont tellement beaux. On dit qu'il fait des pics à chignon remarquable et des peignes décorés qui font tout le standing d'un bon chignon. Tu sais comme elle est fière de sa chevelure et un bois sombre avec quelques incrustations de nacre rendait si bien..."

Elle bavardait comme une collégienne. Son frère devait la trouver bien futile et futile, elle s'était donné beaucoup de mal pour le paraitre. L'habitude du Pensionnat ne se dissiperait pas si facilement. Baissant les yeux sur ses mains, elle se força à revenir a des considérations moins féminines.

"Mais je parle trop. Raconte moi la maison. Tout le monde va bien ? Comment vas-tu ? Tu restes longtemps ?"

Oh... Le tourneur sur bois... Même pas drôle...

En même temps. Avait-il vraiment envie d'une soeur qui fasse des trucs scandaleux? Non. Bien sûr que non. Son sourire disparu pour laisser place à une expression songeuse.

"Des accessoires à cheveux?... Je pense que c'est une super idée."

Le grand frère ordonna au chauffeur de se diriger vers le quartier des artisans avant de se reconcentrer sur sa frangine.

"Moi je n’avais pas d'idées. J'ai pris un livre..."

Il n'était pas très satisfait de son idée, mais il n'en avait pas eu d'autres. Bah... c'était l'intention qui comptait, non?

Non, il ne trouvait pas Samantha futile, elle était juste bavarde,  comme beaucoup de femmes.

"Tout le monde va bien, même si le majordome envisage la retraite, comme d'habitude. Mais là, j'y crois un peu plus que d'habitude, après sa mauvaise grippe de l'an dernier. Quant à moi... Je resterais sous doute jusqu'à mon mariage..."

Une super idée, elle n'en n'était pas certaine. Les accessoires de mode, écharpe, plaids, manchons, et bijoux étaient une solution de facilité pour une femme, non ? Elle avait bien plus de souci à trouver quoi offrir à leur père qui n'avait pas d'amour pour ce genre de fanfreluches. Même si, toujours, un livre, un peu de tabac, un accessoire en cuir.

Comment son frère pouvait avoir si peu d'observation sur les besoins et les envies de son entourage ?

En même temps il devait avoir tellement de choses à gérer qui lui étaient facilités à elle. Les comptes, la tenue du domaine, les visites... et, visiblement, le mariage. Elle haussa les sourcils. Elle n'ignorait pas qu'il était de leur devoir à tous les deux de convoler en juste noce. Elle ne s'attendait pas à ce qu'il lui en parle ni choisisse cette année parmi toutes pour le faire. Juste quand elle rentrait dans le monde...

Peut-être souhaitait-il faciliter ses fiançailles à elle avec une alliance prestigieuse ? Ou l'inverse ? Ou alors cela n'avait aucun lien avec elle et elle se montrait prétentieuse. Dans l'expectative, elle réserva son jugement.

"Oh, j'ignorais que c'était dans tes projets. Une demoiselle a réussi à toucher ton coeur de glace ou bien nos parents ont finalement posé un ultimatum ?"

C'était faux, Oswald était très attentif à son entourage. Savaient-ils? Avaient-ils remarqué quelque chose?... Oui, bon, OK, pas à leurs besoins. Oui, Oswald était un petit peu égocentrique. Mais c'était un gentil garçon. Presque.

"J'ai décidé ça cet été. Comme toi, j'arrive à l'âge ou cela devient bienséant. J'y ai  beaucoup réfléchi."

C'était vrai. Il y avait beaucoup réfléchi fin aout... en se réveillant après une nuit de débauche. Il avait pris conscience que l'impunité ne durerait pas éternellement et que le jour ou le scandale éclaterait, il serait commode d'avoir une épouse prête à jurer qu'il était normal pour essayer de se dédouaner. Mais ça, il n'allait pas le dire à sa blanche et pure petite soeur.

"J'ai déjà décidé de qui je souhaite épouser. Il me reste à la convaincre de l'opportunité de ce mariage."

Ouais, c'était là que le bât blessait. Aelis était la candidate idéale, mais il fallait encore l'en convaincre...

"Ton Amie Aelis va bien?"

Subtilité, discrétion, Oswald.

C'était bien responsable de sa part. Et pas très étonnant au final. Malgré les taquineries fraternelles, Samantha savait que son frère était un homme intelligent et raisonnable. En effet, s'il n'était pas en retard - il avait jusqu'à ses trente ans à peu près - il commençait lui aussi à être en âge.

La suite du discours continua toute fois de l'étonner. Elle leva un sourcil curieux quand il lui révéla avoir déjà fait son choix avant d'enchainer directement sur des nouvelles d'Aelis.

Elle manqua de s'étouffer.

Aelis ? SON Aelis ?

Un peu de possessivité lui fit croiser les bras et regarder à l'extérieur. Puis, au fil des secondes, elle se détendit. Son amie était une belle jeune femme, forte et indépendante. Oswald était plutôt de bonne composition. Il y avait moyen de négocier avec lui. Et il avait besoin de quelqu'un pour lui remettre de temps en temps la tête sur les épaules.

Mais elle n'avait jamais rien vu, jamais rien su, jamais rien...

Quelque chose entre Aelis et son frère lui aurait échappé ? Sous son nez ? Sa fierté d'observatrice en prenait un coup. Elle pencha la tête, pensive.

"Elle allait bien lors de nos derniers échanges. Elle ne me parle de personne qui aurait volé son coeur, si cela peut te rassurer. Cela veut aussi dire qu'elle ne me parle pas de toi. Vraiment Oswald, qu'est ce qui te pousse à la choisir parmi toutes les autres ? A penser qu'elle voudra bien de toi ?"

Elle devait savoir. Or de question qu'on la prenne par surprise ! Des ragots dans son propre cercle intime ! Cela n'avait pas de prix.