Tu n'es plus au Kansas - Correspondance Eagle/Wolf

Oxford, 14 septembre 1808

Cher Wolf

Je me suis posé beaucoup de questions, cet été. J’ai beaucoup hésité à t’adresser cette lettre. J'espère que tu la liras. Tu n'as pas répondu à ma suggestion de nous écrire. Tu n'as pas dit non. Mais tu n'as pas dis oui. C’est là la raison de mon hésitation. J'espère que cette lettre ne te heurtera pas.

Mon été s’est bien passé. Ton absence ne m’a presque pas affecté. En même temps, j’ai l’habitude de ne pas te voir l’été. C’est plus difficile depuis que les cours ont commencé à Oxford. Je pense que ce sera une année difficile. En ton absence, étudier n’est plus aussi amusant et j’aurais du mal à m'y mettre.

Bien sûr, Swan est là et nous travaillons ensemble, mais… Ce n’est pas la même chose… Sans toi pour comprendre où est le problème, ce n’est plus pareil. Tu nous manques a tous les deux (même s’il ne l’avouera jamais).

Nous sommes adultes, maintenant, ou en tous cas vu comme tels. Fox a découvert les tavernes les plus proches. Depuis la rentrée, il y est déjà allé trois fois. Je n’y vais pas aussi souvent. Mon foie ne saurait éponger la même quantité de bière que lui.

Comment l'entraînement se passe-t-il pour toi? N’est ce pas trop dur? Vas-tu être envoyé sur le continent? Sais tu où? J'espère que tout ira bien pour toi.

Bien à toi.

Hawk

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17 septembre 1808

Cher Eagle,

Toi, mon ami de longue date, sans doute le premier que j’ai eu. Je ne savais pas si je devais m’attendre à avoir de tes nouvelles après m’être lâchement enfui. Ce n’était pas très honnête de ma part. Je suppose que je te dois des explications. Je ne suis pas ton mignon. Je ne le serai sans doute jamais. Je ne sais pas ce que tu penses de moi, peut-être ne le saurais-je jamais ? Parfois la vérité n’est pas bonne à entendre. Il est vrai, je n’ai toujours pas répondu à la question que tu te poses. Je ne suis pas ton mignon, les autres -Qui ça ? Un peu tout le monde, au fond, cela n’a pas de véritable importance- pensent que je le suis. Je pense que je suis parti, loin de toi, pour la simple et bonne raison que je ne veux pas être dépendant de toi. Tu es au fur et à mesure devenu trop… Présent. Et j’ai apprécié ta compagnie, mais il va falloir que cela cesse. Aussi bien dans nos conversations épistolaires que lorsque nous sommes en présence de l’autre. Je ne sais pas ce que nous sommes devenus au fil du temps… Il n’y a nul besoin de le savoir. Tu peux dire que je me voile la face, tu aurais sans doute raison. Cependant je ne veux pas comprendre. La réalisation pourrait nous déplaire mais pire que tout, pourrait te mettre en danger. Je ne prendrai pas ce risque. Pas pour nous en tout cas, ni pour aucune autre personne dont tu devines le genre.

Je suis sûr que tu t’en sortiras, les études ont l’air de te venir naturellement. Dans nos sessions d’étude, je ne restais jamais concentré pourtant je ne me gênais pour que “vous ayez l'obligeance de travailler plus et de bavarder moins.” Comble de l’ironie, n’est-ce pas ?

Je connais bien le caractère de notre très cher Swan, il ne changera jamais, théoriquement adulte ou non. Fox a un foie hors du commun, je me demande s’il ne finira pas sa vie dans un bar. Je conseille le bar de mon père, si jamais.

En ce qui concerne l’entraînement, cela se passe bien. Il est vrai que parfois, la tâche est ardue, il n’empêche que j’apprécie plus que je ne l’aurai cru. Bien que cela risque d’être de courte durée. Je ne suis pas encore déployé, et si jamais je le suis, je ne saurais où. A moins que je ne monte en grade. D’ailleurs, merci de m’avoir pistonné, c’est très appréciable. Je vais aller bien. Je ne peux pas te le garantir mais pour l’instant, c’est juste une simulation de ce qu’est la guerre en tant que telle. Il n’y a pas encore de danger pour moi.

J’aimerais ne plus avoir de nouvelles de ta part, mais je te souhaite le meilleur du monde, juste… Sans moi. Mais ce serait présomptueux de croire que ma disparition va t’impacter.

Pour la dernière fois, bien à toi, Eagle. Adieu.

Ton ami, Wolf, toujours.

Oxford, 23 Septembre 1808

Quand on lui apporta la lettre de Wolf, Oswald posa sa plume sur ses révisions pour l’arracher à la bonne qui la lui apportait. Puis il exigea d'être seul, ce que la pauvre fille lui accorda bien vite. Fébrile, il décacheta la lettre et la parcourut du regard. Une longue lettre. Wolf n’avait jamais su faire court. Son cœur se gonfla d’espoir.

Il lut la lettre. Il se décomposa. Trop présent? Comment pouvait-on être trop présent? Et pourquoi… Pourquoi ne pas accepter ce qu’ils étaient? Comment pouvait-il avoir la cruauté de sous-entendre qu’ils pourraient être quelque chose et en refuser l’idée même dans la phrase suivante? Comment?

Il parcourut sans les voir les paragraphes sur leur vie étudiante, son cœur battant trop pour rire des souvenirs évoqués par son correspondant. Le paragraphe sur son entraînement, par contre, calma un brin son cœur défaillant. Bon. Il n’avait pas mal pris la charge d’officier. C'était au moins ça...

J’aimerais ne plus avoir de nouvelles de ta part, mais je te souhaite le meilleur du monde, juste… Sans moi. Mais ce serait présomptueux de croire que ma disparition va t’impacter.

QUOI? Comment ça, ne plus avoir de nouvelles? Comment ça, sa disparition ne va pas l’impacter? Comment pouvait-il penser et écrire une chose pareille?

Une longue plainte s’échappa de la gorge du jeune homme tombé à genoux, la plainte déchirante d’un animal blessé à cœur. La porte du bureau s’ouvrit. Elle se referma pour protéger la bonne du jet de manuel de droit première année.

“FOUTEZ-MOI LA PAIX! QUE TOUT LE MONDE ME FOUTE LA PAIX!”

Il pleura longuement, à genoux dans son bureau. Toute la soirée. Une partie de la nuit.

Au petit matin, il lissa la lettre. Il la rangea soigneusement dans son porte-feuille, qu’il rangea dans sa poche poitrine. Contre son cœur.

Il n’écrirait plus à Wolf.

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11 mai 1815

Cher Eagle,

J'ai compris, il y a bien longtemps que la première caractéristique que l'être humain oublie d'une personne, c'est son touché, puis sa voix, ensuite tout ce qui est physique, jusqu'à ce que le souvenir du visage s'estompe, et qu'en fin de compte, il ne reste plus qu'une simple ombre.

Je n'ai jamais eu ce problème d'oubli, pas quand cela vous concerne. Je me souviens de vous, de notre rencontre, de nos peaux qui sont en contact l'une de l'autre. C'est un souvenir fugace, éphémère mais la chaleur est bien là. Vos paroles accompagnées de votre voix, je l'entends encore. Et comment aurais-je pu oublier tout ce qui fait de vous... Vous ? Ce n'était pas une simple amitié, aussi meilleure soit-elle. Je l'ai compris, il y a deux ans. Trop tard, sans doute. Je ne sais toujours pas ce que nous étions, si notre relation pouvait être définie par un mot. Je pense que ce serait la ternir si jamais cela arrivait. C'était trop unique et j'ai, rien qu'avec une lettre, tout détruit.

Vous l'avez sans doute remarqué, je ne vous tutoie plus. Je pense que nous sommes des inconnus, des inconnus qui se sont connus. Ironique ? Mais ce ne sont que des excuses. La vérité est que je ne me sens pas digne de ce tutoiement, pas digne de vous. Je ne pourrais sans doute jamais être plus qu'un souvenir.

La lettre que je vous écris, elle ne pourra pas tout rétablir, que ce soit nous, ce que nous avions. Il est plus facile de tout réduire à néant que de nous faire renaître de nos cendres. Cela ne m'empêchera pas d'essayer, si jamais vous me le permettez. Vous m'avez accordé la distance et le silence que je demandais, vous pouvez donc m'interdire de retenter un nouveau "nous". J'espère que je suis pour vous plus qu'une simple relique que vous avez supprimé de votre esprit.

Mon écrit en votre encontre n'est pas sans arrière pensée. Je l'admets. Il y a deux ans, j'ai vécu un évènement marquant que j'ai dû enfuir au fond de moi. Cela m'a fait réalisé que la vie est fragile, la mienne n'est point une exception. Et plus que le désir de vous revoir, le besoin d'être en votre compagnie se fait de plus en plus présent. J'ai besoin d'Eagle et j'espère que vous, vous avez besoin de Wolf.

Je pense que c'est peut-être la dernière occasion de vous exprimer ma gratitude pour nos années passées mais surtout de vous dire... Je suis désolé. Pour tout mais surtout pour le reste. J'espère que vous comprendrez, je préfère dire la suite en votre présence. En effet, je reviens à Londres. J'aurai bien avoué que c'est pour être près de vous, mais je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée. Ne me pardonnez pas, nous savons que je ne le mérite pas.

En espérant avoir la chance de vous revoir. Au moins, une dernière fois. Juste une dernière chance de s'expliquer. Accorde moi un dernier souvenir indélébile de vous. De toi, Eagle.

Votre Wolf, à tout jamais.

Oswald triait machinalement son courrier en mangeant son petit déjeuner. Il en avait pas mal ce jour-là, la séance de correspondance qu'il avait faite deux semaines plus tôt avait porté ses fruits. Beaucoup lui avaient répondu. Il les triait par urgence de réponse quand il tomba sur une lettre qui lui fit parcourir un frisson glacé dans le dos. Il reconnaitrait cette écriture n'importe où, n'importe quand.

Il est vivant.

Bien sûr, il avait soudoyé quelqu'un au ministère de la guerre pour être prévenu en cas de malheur, mais... là il en avait la preuve.

Il n'ouvrait jamais son courrier au petit déjeuner. Il ne faisait que le trier. Et si sa mère arrivait et lisait par-dessus son épaule?

...

Avait-il vraiment encore faim?

Non.

Il posa sa serviette, rassembla son courrier, le mélangeant au passage le reste de son courrier et il se précipita dans son bureau, sans un regard pour personne.

Il balança les lettres sur le bureau et assouvis enfin son besoin primaire d'ouvrir la missive.

Oswald a écrit:: Londres, 15 mai 1815

Cher Earnest,

Je t'invite à me rendre visite le jour qui te conviendra à ton retour à Londres. Montre cette missive au majordome, il te fera entrer.

Oswald

La réponse était courte, nette et précise. Pour être franc, l'officier ne s'attendait pas à recevoir une réponse. Oswald est un homme occupé, il est vrai que ce n'est plus comme avant, cela ne le sera plus jamais. C'est sans doute mieux. Earnest, Lui, il se permet de revenir ainsi dans sa vie, qu'est-ce qui lui est passé à l'esprit ? Il ne peut pas se défiler, pas encore. Et au fond, ce sera peut-être la dernière fois qu'ils se verront. Une dernière chance de le revoir, cela lui donne des frissons dans le dos. Il est à la fois excité et nerveux. Il ne devrait pas l'être. Il a fait la guerre, il a combattu et il a tué ! Même s'il est à peu près sûr que ce sera Oswald qui mettra fin à ses jours. Et si... Son Eagle voulait le tuer ?! C'est pour ça la réponse qui est assez froide... Il n'a même pas signé la lettre sous son surnom... Cela ne présage rien de bon mais de là à commettre un meurtre ? Earnest est un peu parano. Un peu beaucoup ! En soi, il le tutoie donc il y a deux possibilités; soit, il est d'accord avec Earnest pour dire que celui-ci est inférieur à Oswald ou alors, il le tutoie pour lui faire comprendre qu'il y a encore de l'espoir. Il respire une bonne fois puis il répond, de sa plus belle calligraphie.

Earnest Wilde a écrit:: ▼
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20 mai 1815

Cher vicomte d'Esternay,

J'accepte l'invitation, je serai là un 14 novembre 1815 à 17h.

Bien à vous... Earnest Wilde

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17 septembre 1808

... (le reste du message)

Ton ami, Wolf, toujours.

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Message.

» Earnest Wilde, tel le Wolf majestueux.